CE QUE FERA LE PROFESSEUR MABANCKOU AU COLLEGE DE FRANCE

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CE QUE FERA LE PROFESSEUR MABANCKOU AU COLLEGE DE FRANCE
Le romancier de «Black Bazar», prof au Collège de France

Le romancier de «Black Bazar», prof au Collège de France? Dans les pages littéraires de «L'Obs» et sur ce site, il en était déjà question début septembre. C'est officiel depuis le 29 novembre.

Alain Mabanckou a peut-être raté le Goncourt des Lycéens ce mardi avec son «Petit Piment», mais il a donc de quoi se consoler.

Toujours très habile lorsqu'il s'agit de se mettre en scène, il l'a d'ailleurs tout simplement annoncé lui-même sur son compte Twitter : 

J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai officiellement été nommé ce jour comme Professeur au College de France, à la Chaire annuelle de Création artistique. Je ferai la leçon inaugurale le 17 mars 2016 à 18h dans l'Amphithéâtre Marguerite de Navarre, et mes cours et mes séminaires commencent une semaine après cette leçon (cours et séminaires ouverts à tout le monde). Je remercie donc tous les professeurs du Collège de France de m'avoir nommé au sein de leur prestigieuse institution ! Je garde bien entendu mon poste aux USA de professeur titulaire à UCLA (University of Califonia Los Angeles) #CollegeDeFrance #CDF1530

 

C'est évidemment une nouvelle étape qui compte dans le joli parcours de ce Franco-Congolais né en 1966 à Pointe-Noire, qui était venu étudier le droit à Paris à la fin des années 1980, a décroché le prix Renaudot en 2006, et enseigne depuis la littérature francophone à la fameuse UCLA de Los Angeles. 

Mais l'auteur de «Mémoires de porc-épic» ne quitte pas son poste californien pour autant. Pas fou, Mabanckou. Il sait qu'il n'est pas nommé à vie au vénérable Collège qui jouxte la Sorbonne depuis 500 ans. Si Antoine Compagnon l'a recruté, c'est plus modestement pour occuper une chaire annuelle, celle consacrée à la Création artistique où, depuis sa création en 2004, sont passés aussi bien des compositeurs comme Pascal Dusapin et Karol Beffa qu'un metteur en scène comme Jacques Nichet, un paysagiste comme Gilles Clément, ou un artiste comme Anselm Kiefer (la liste complète est en ligne ici).

L'opération fait tout de même de lui le premier écrivain à se retrouver là, ce qui n'est pas rien. Et pour causer, dès sa leçon inaugurale, du passage «de la littérature coloniale à la littérature "négro-africaine"». Tout un symbole, dans une France qui renoue chaque jour un peu plus avec ses vieux démons identitaires. 

 

Alain Mabanckou, l'enfant noir

 

Il est né au Congo, il enseigne à UCLA, la prestigieuse université de Los Angeles. Et il publie en France de merveilleux souvenirs de son enfance africaine. Rencontre avec Alain Mabanckou.

 

Ses premières lectures, ce sont les «San-Antonio» défraîchis que son père adoptif collectait dans les poubelles des coopérants, en sa qualité de gardien d'hôtel à Pointe-Noire. Pour un Congolais d'une dizaine d'années, il y avait de quoi s'interroger :

Est-ce que San-Antonio c'est l'écrivain qui a le plus écrit au monde?»

Mais il n'y avait pas foule pour l'éclairer tandis qu'il découvrait la littérature française, «par effraction», à travers «Ma langue de Chah» et «Vol au-dessus d'un lit de cocu». A l'école, où le maître maniait la chicotte, on apprenait d'abord à réciter «les commandements du Mouvement national des pionniers», Révolution rouge oblige. Alain Mabanckou s'en souvient encore.

Aujourd'hui, le petit Congolais est un écrivain de premier plan, récompensé par le prix Renaudot pour ses savoureux « Mémoires de porc-épic ». C'est lui qui répond aux questions des autres : journalistes, lecteurs, étudiants. Il est traduit dans une douzaine de langues. Avec « Demain j'aurai vingt ans », récit de son enfance à Pointe-Noire, il est le premier noir africain publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Et après avoir enseigné à l'Université du Michigan, le voilà recruté par la fameuse UCLA de Los Angeles.

Là-bas, l'auteur de « Black Bazar » apparaît comme «le professeur de littérature française le plus cool de Californie». Pas étonnant quand on l'y a vu, devant cent cinquante personnes hilares, lire l'histoire de la femme qui pisse dix minutes d'affilée. Pour un peu, on l'appellerait Mabancool. C'est qu'il y a du show man dans ce garçon chaleureux parti habiter la ville du cinéma. Quand il sort sur Hollywood Boulevard, sous sa casquette, on le confond avec l'acteur Samuel L. Jackson, ce qui est à la fois flatteur et scandaleux : «Je suis beaucoup plus jeune !».

« Je l'ai rencontré au Salon du livre de Paris en 1999, raconte son grand ami, l'excellent romancier haïtien Dany Laferrière. Il était à son stand et sifflait en voyant les gens passer sans s'arrêter : "Ce sont mes lecteurs".  Je l'ai trouvé si drôle qu'on ne s'est plus quittés.» Ne pas trop se fier, pourtant, à ce flegme rigolard :

C'est un homme très secret, ajoute l'auteur de "l'Enigme du retour". On a accès difficilement à lui. La mort de sa mère l'a détruit. Il n'a de cesse de lui redonner vie. C'est pourquoi il a dû être si heureux et si malheureux en écrivant ''Demain j'aurai vingt ans''. Je n'ose imaginer ce qu'il a dû traverser. Alain ne rit jamais dans son cœur. C'est un homme très triste, très seul. Son univers n'est pas surpeuplé. Il a une femme, un ami, une passion (l'écriture) et sa mère. Pour le reste, il joue.»

Aux Etats-Unis, Mabanckou joue donc à se sentir chez lui, mais la France reste son « pays d'adoption »

Les Français doivent comprendre qu'il n'y a pas plus français que ceux qu'ils ont colonisés, puisqu'on a pris au pied de la lettre tout ce qu'ils nous ont appris.»

Il était venu à Paris en 1989, comme étudiant en droit, avec l'idée de revenir au Congo-Brazzaville « comme professeur ou comme cadre de la fonction publique ». Deux guerres civiles ont éclaté dans son pays. Alors il est resté, dix-sept ans. Comme conseiller juridique à la Lyonnaise des Eaux dans un premier temps. Il n'a jamais revu sa mère.

« J'ai décidé que la géographie importait peu, qu'il faut s'efforcer de vivre bien là où l'on est», dit-il doucement. C'est là qu'il a lu Mongo Beti et Amos Tutuola :

Ils m'ont ouvert les yeux. C'est peut-être en France que je me suis senti le plus africain. Et aux Etats-Unis que je me sens européen. Que va-t-il se passer si je pars en Asie ?»

Ce « mic-mac identitaire tricontinental » lui convient assez. Et le débat sur l'identité nationale l'a plutôt « agacé »:

Cette question très gauloise, lancée par des plaisantins qui voulaient faire leur numéro, a été perçue en Afrique comme une manière de faire la politique de Jean-Marie Le Pen. Invoquer les ''valeurs républicaines'', c'est du fascisme froid : restons-en à la Constitution, qui interdit toute forme de discrimination ! De toute façon, ceux qui ont parlé ne sont pas ceux qui défendent la culture française hors de ses frontières.»

Cet étonnant voyageur, détenteur d'un passeport français, sait de quoi il parle, lui qui participe à une vingtaine de festivals littéraires par an. «Tandis qu'à l'étranger, en Inde, en Algérie, en Angleterre ou au Nigéria, je suis présenté comme un écrivain français, on continue en France à me cataloguer ''francophone'', observe l'auteur des «Petits-fils nègres de Vercingétorix». C'est une forme d'ostracisme. Mais c'est à nous, nés ailleurs, de rompre ces barrières sans nous contenter du périmètre carré où on nous confine.»

Dans « Demain j'aurai vingt ans », un demi-siècle après «l'Enfant noir» de Camara Laye, il réussit ce miracle : faire parler le gamin qu'il fut, pour évoquer le Congo-Brazzaville des années 1970-80, la radio qui portait les rumeurs du monde, les voyous qui «prenaient les surnoms d'Amin Dada ou Bokassa Ier», et surtout sa famille qui n'était «ni riche ni très pauvre», mais partagée entre sa «maman Pauline» et sa «maman Martine», l'autre femme de son père. C'est drôle, tendre et bouleversant comme du Pagnol. San-Antonio mène à tout.

Grégoire Leménager

Alain Mabanckou en 5 dates

- 1966. Naissance au Congo-Brazzaville.

- 1989. Etudes de droit à Paris.

- 1998. Premier roman: «Bleu-blanc-rouge», Grand Prix littéraire d'Afrique noire.

- 2006. Prix Renaudot pour «Mémoires de Porc-épic», recruté à UCLA.

- 2010. «Demain j'aurai vingt ans» (Gallimard). 

Source : « Le Nouvel Observateur » du 19 août 2010.

 

Mabanckou au Collège de France : demandez le programme !

La leçon inaugurale en question, ce sera le jeudi 17 mars 2016, amphithéâtre Marguerite de Navarre, à 18h. Par la suite, les cours auront lieu le mardi à 14h, suivis de séminaires à 15h, du 29 mars au 31 mai. 

Il y sera notamment question de «La négritude après Senghor, Césaire et Damas», des «grandes thématiques de la littérature d’Afrique noire francophone»«des études dites postcoloniales» (avec la venue d'une des stars de la question, le philosophe Achille Mbembé), «des écritures noires francophones» (avec Dominic Thomas), de «commémorer les abolitions de l’esclavage» (avec Françoise Vergès), mais aussi de la façon dont on peut «écrire après le génocide des Tutsi au Rwanda», ou encore des rapports entre «peinture sociale et "griotisme" dans les deux Congo».

La saison s'achèvera sur un face-à-face à propos de l'histoire congolaise, entre David Van Reybrouck, auteur d'une somme considérable sur le sujet, et Jean Bofane, écrivain congolais venu de RDC. 

Dans l'intervalle, le 2 mai 2016, est enfin programmé un colloque intitulé «Penser et écrire l’Afrique noire», auquel devraient participer des gens comme Achille Mbembe, Souleymane Bachir Diagne, Sami Tchak, Pap NDiaye, Françoise Vergès, ou encore Dany Laferrière, ce grand ami canado-haïtien de Mabanckou qui, il y a quelques mois, faisait une entrée triomphale à l'Académie française sous l'oeil du président de la République. 

Laferrière, vous savez ? Celui qui nous avait expliqué ici qu'«on nous emmerde avec l'identité depuis cinquante ans».

Grégoire Leménager

 

Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20151201.OBS0531/ce-que-fera-le-professeur-mabanckou-au-college-de-france.html