ILLUMINATIONS BAROQUES de Jérôme POINSOT

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ILLUMINATIONS BAROQUES de Jérôme POINSOT

Le baroque, un concept transhistorique

Parler de littérature baroque aujourd’hui reste un tabou dans la sphère académique.

Historiquement restreinte à la période d’Henri IV à Louis XIII (de 1589 à 1643), l’histoire littéraire feint de ne pas entendre la réflexion pourtant fondamentale menée par Eugène d’Ors dans son célèbre ouvrage Du baroque (coll. « Idées Gallimard », 1983), où il développe une conception transhistorique et métisse de la culture baroque, qu’il a qualifiée d’éon.

L’éon est un concept d’« idée-évènement », « une éternité qui connaît des vicissitudes », une sorte de puissance idéale qui revient régulièrement dans l’histoire de l’art avec des traits morphologiques précis, comme dans le Romantisme, par exemple. Le Baroque serait donc un dénominateur commun d’expressions culturelles et artistiques de toutes les époques confondues, que l’on peut retrouver de nos jours, dans la littérature contemporaine.

 

Jérôme Poinsot, chercheur en littérature baroque contemporaine

À partir de cette conception dorsienne transhistorique du baroque, Jérôme Poinsot a approfondi les spécificités stylistiques et esthétiques du baroque dans la littérature contemporaine. D’abord en étudiant les phénomènes d’amplification oratoire et d’intra-intertextualité dans la pseudo-autobiographie fictionnelle d’Alain Robbe-Grillet (Les Romanesques). Puis il s’est tourné vers la caraïbe pour être aujourd’hui chercheur associé au laboratoire AGORA de l’Université de Cergy-Pontoise.

Il a déjà publié en 2016 un commentaire inédit sur le roman Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre aux éditions Honoré Champion, maison d’édition renommée dans le domaine de la critique littéraire universitaire.

Il a dirigé en 2011 la première traduction en français de la Controverse cubaine entre le tabac et le sucre du célèbre anthropologue cubain Fernando Ortiz, père du concept de la transculturation, sur les traces de Bronislaw Malinowski (Une théorie scientifique de la culture, 1970).

Après être intervenu dans le cadre d’un séminaire à l’ITEM (École Normale Supérieure de Paris), il termine actuellement une thèse sur le métissage dans les romans baroques de René Depestre sous la direction de Sylvie Brodziak.

 

Un ostracisme qui ne dit pas son nom

Alors que les auteurs néo-baroques sont partout inscrits au programme des universités du monde entier, les romans de René Depestre n’ont à ce jour bénéficié d’aucun texte critique. Quant à la France, elle semble déterminée plus que jamais à ignorer la production littéraire des auteurs francophones baroques caribéens, prise dans une sorte de repli identitaire. Quand verra-t-on enfin les œuvres d’Aimé Césaire, de René Depestre, de Jacques Stephen Alexis ou de Jacques Roumain aux épreuves du baccalauréat de français ?

(https://diacritik.com/2018/03/20/tribune-pour-lenseignement-des-ecrivains-francophones-du-sud)

L’autre difficulté vient de ce que depuis Malherbe, l’art baroque a été combattu idéologiquement pour sa liberté de ton et son irrévérence sociale afin de mieux asseoir la sobriété, le dépouillement et surtout les bienséances du classicisme. C’est ainsi que le cœur de l’esthétique baroque — la satire humaniste — s’est retrouvé arraché de son fruit, et qu’il n’en est plus rien resté dans l’histoire littéraire, cette esthétique s’effaçant peu à peu de la mémoire, des goûts et des compétences des lecteurs.

 

Reviviscences créoles

Il aura fallu le sursaut de la Négritude, en 1935, porté par Aimé Césaire, Léon-Gontrand Damas, Léopold Senghor et René Depestre pour que la pensée anticolonialiste s’empare à nouveau très spontanément de la veine satirique comme d’une arme de combat très efficace. L’influence déterminante quoique elliptique du romancier cubain Alejo Carpentier sur la question du baroque, ainsi que l’amitié de Jacques Stephen Alexis, auteur de la célèbre communication prononcée au Premier Congrès des Écrivains et Artistes Noirs de la Sorbonne (1956), sur le « réel merveilleux des Haïtiens », pour René Depestre, ont déjà mis ce dernier sur la piste du baroque et de la créolité. Par la suite, ses engagements anticoloniaux et ses nombreux voyages lui ont fait adopter précocement une vision internationaliste ouvertement créole, tout d’abord avec Le métier à métisser (1998), puis dans Bonjour et Adieu à la Négritude (1989). C’est ainsi que la rédaction de son premier roman créolisant, Le mât de cocagne, date de 1975, alors qu’il était assigné à résidence surveillée, à La Havane... devançant de près de vingt ans le mouvement de la créolité !

 

Pourquoi les Illuminations baroques ?

C’est pour remédier à cette perte de compétence de lecture du baroque auprès des lecteurs actuels et redonner tout son lustre à ce petit bijou littéraire qu’est Le mât de cocagne de René Depestre que le recueil des Illuminations baroques a été principalement conçu.

Son but premier est de montrer combien l’écriture de ce roman va puiser dans le fond littéraire de la satire romaine pour nourrir son esthétique baroque du mélange des genres littéraires et sa tonalité vindicative de la contestation.

Ce mélange des genres aboutit à une structure narrative complexe où le héros, Henri Postel, accomplit une tragédie mise en scène dans le roman (tragédie narrativisée) dont il connaît dès de début le destin funeste. Cette tragédie se trouve par ailleurs couplée à un récit d’audience typiquement haïtien (discours rapporté entre voisins) où les femmes occupent un rôle prépondérant : sans elles, jamais le défi de la participation de Postel à la compétition du mât de cocagne n’aurait pu être possible et encore moins le mener à la victoire.

Cette fiction déceptive trouve néanmoins à propager un message politique fort, en plus d’être exemplaire : celui d’une possibilité d’une révolte individuelle, malgré l’oppression et la tyrannie collective, et du redressement en soi-même, relayé par la solidarité, renforcée par la rage de vivre. En ce sens, la révolte rejoint une métaphysique cosmique du désir de vivre et de l’amour dont le personnage d’Élisa Valéry est emblématique, faisant de ce roman aux apparences agressives et viriles un poème tendre et profondément féministe.

Le second propos de ce recueil, en postface, a été d’attirer l’attention sur l’une des plumes virtuoses de l’écriture baroque haïtienne contemporaine : nous voulons parler de Gary Victor.

Bien que la communication présentée ici ne donne qu’un aperçu rapide de ce magnifique roman qu’est L’escalier de mes désillusions, nous avons tenu à montrer combien Gary Victor avait su s’emparer du cataclysme du séisme de 2010 pour en forger un récit à la fois poétique et moderne, à la facture éminemment baroque afin d’effectuer une plongée dans les souffrances à la fois individuelles, familiales et collectives de l’âme haïtienne. Un récit empreint de violence et de tendresse qui, comme toujours, chez Gary Victor, fait ressortir ce que toutes les souffrances et le sordide peuvent cultiver, malgré tout, chez les personnages, d’intelligence et d’humanité, dans un style flamboyant, resté malheureusement encore trop confidentiel.