L’ÉCHO DES EMPREINTES D’ANNABELLE ROUSSEL

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L’ÉCHO DES EMPREINTES D’ANNABELLE ROUSSEL

Entrer dans L’Écho des empreintes d’Annabelle Roussel n’est pas sans risques, car ses poèmes nous captivent comme autant d’incantations d’un vieux grimoire qui ne se laisserait pas refermer avant d’avoir été complètement lu. Et pourtant, derrière la simplicité apparente d’une prose poétique ciselée au plus près de l’émotion et de la nature, la poétesse Annabelle Roussel nous emmène dans un périple des plus audacieux puisqu’il s’agit - rien de moins ! – que de montrer combien chez elle le poème est un maillage où l’écriture se tisse à partir des sentiments et des sensations du corps, jusque dans tout ce qui existe :

Si nos chemins nous édifient

En langages de matière,

La cadence irréelle contenue

Dans nos liens mystiques

Gomme la nostalgie Les doutes La peur La colère Et la mort.

 

Aux nuages qui sourient
Confie ta mémoire indomptable,

À la tendresse confie ton cœur inépuisable
Rien ne résiste à la joie.

(« Ma Muse », page 28)

C’est dire d’entrée de jeu l’ambition de ce recueil qui pourtant ne cesse d’accueillir le lecteur simplement et de l’accompagner le long d’un cheminement où la nature ne cesse de le porter pour mieux le transporter. Mais la nature d’Annabelle Roussel n’est pas celle domestiquée par l’homme. Elle est celle, brute et baroque, où règne l’éclat des contraires en une harmonie qui peut s’avérer parfois déroutante, tant elle est toujours en mouvement. Tel est le principe de ce recueil : emmener le lecteur en voyage, l’extraire subversivement de la médiocrité de son quotidien pour essayer de cheminer avec lui en quête d’une autre dimension du langage, où il entrerait en fusion avec le monde, les éléments, pour renouer avec la sérénité d’un souffle cosmique bienveillant.

Cette quête commence par le désir d’un ailleurs et l’abandon des vanités, pour aller à la rencontre de la Muse et de son langage caché. Lors de ces moments d’intense ravissement, le temps semble vouloir s’arrêter, voire remonter sa course pour laisser apercevoir d’autres dimensions de l’existence. Là, les mots perdent parfois leurs sens et deviennent homophones ou mots-valises pour se déployer selon d’autres dimensions graphiques dans la page. Ainsi sa prose poétique féministe se fait subversive, mais au service de la joie de vivre, de la tendresse, du rire et de la folie douce… Pourtant le dialogue avec la Muse ne laisse pas le lecteur indemne : c’est un échange métaphysique de haut vol qui a lieu entre l’esprit du monde et la poétesse en quête d’armes pour y asseoir un peu plus d’harmonie. Harmonie des contraires, inversions, paradoxes, antithèses fusent : ici tous les ressorts de l’écriture baroque sont mobilisés pour décrire la haute lutte d’un monde qui ne veut pas se laisser prendre aux rets du langage, permettant à l’occasion aux lecteurs de découvrir plusieurs poèmes qui sont autant de d’arts poétiques que d’illustrations de L’Écho des empreintes.

Cet écho nous parvient de toute part de l’intérieur du recueil, où si les images laissent une place prépondérante au regard, elles n’en éclipsent pas moins les perceptions des autres sens : l’ouïe, l’odorat, le toucher. Car le recueil d’Annabelle Roussel est sans doute, en définitive, une œuvre magistrale de sensualité où règne un érotisme puissant, quoique suggéré. Il fallait une parole féminine pour dire enfin ici la tension du désir avec la beauté du monde et la complicité des cœurs et des corps. Même si l’Absence n’est pas pour elle synonyme de solitude - grâce au lien tissé par le maillage du souffle - sa poésie participe aussi de cet érotisme qui part du corps pour y revenir, en espérant modifier le monde sur son trajet, telle un boomerang déterminé à hacher les souffrances et les traumatismes, d’une manière bienveillante et non-violente. Cette lutte contre l’agonie donne à son texte parfois des lueurs vénéneuses et décadentes où règne une certaine jouissance de la douleur…

Mais en fin de compte, L’Écho des empreintes trouve surtout à s’épanouir et à s’enraciner dans notre mémoire, comme celle, métisse de la diversité du poème dédié « À Bernard Dadié » (page 74). Annabelle Roussel cultive ainsi une vision nostalgique d’un antique langage qui, manié patiemment, avec délicatesse, pourrait faire jaillir de furtives fulgurances, issues du « plasma de nos mémoires » : l’écho des empreintes.

 

Jérôme POINSOT

⁓*⁓*⁓*

 

Folies douces ou fureur de vivre

Folie passagère ou clandestine

Ondes de chocs

. >< Vous n’y résisterez pas / Soyez en certains >< .

 

L’ombre assassine guette

 

La raison

Affleure

 

la langue idylle les contre sens

 

Libres parmi les esclaves

Lucides

 

⁓*⁓*⁓*

 

Conspiration chaque minute

Inspiration chaque seconde

Construire un chemin entre l’Ici et l’Ailleurs,

Le jour, la nuit

Le monde d’hier et celui de demain, le présent

Se forgent à nos passions ouvertes

 

Ainsi s’essaime la vérité,

Broie nos corps

Comme germe la sentence en terrains arides,

 

Morcelant l’infinitif des champs possibles,

Émiettant à l’infini nos chimères héritées.

 

Que dire de ce présent sans lucide partage,

De ce monde dont nos mains ont perdu le langage,

De ce siècle naissant avec pour seule idole,

L’abstraite toute puissance des images figées ?

 

Que dire de la médiocratie qui règne et se déploie

Sans se laisser panser par les mots en usage ?

 

Zone de Texte:  J’aimerais inventer des signes pour dire l’éphémère,

Pour capter l’invincible présence des absents,

Chanter l’invisible,

L’inaudible,

La pureté des valeurs immatérielles dont l’expression désuète se capte encore dans le plasma de nos mémoires.

 

Vidéo

⁓*⁓*⁓*

 

Qui s’avoue vaincue savoure sa victoire

 

Fièvre des combats

Des astres eux ?

 

La haine aliène

Comme la vie

Perd son venin indigeste.

 

Sang d’oursin incestueux

Mes viscères sont hors-jeu.

 

Une pipe et un dé à coudre

Lancent le dernier match,

Lancent l’ultime catch !

Mais le bide sonne la faim

Pas de gloire sans festin.

 

Qui s’avoue Vaincue savoure sa victoire

Sur son fléau

Si ton ennemi se dédit

Classe.

 

L’ÉCHO DES EMPREINTES D’ANNABELLE ROUSSEL

L’Écho des empreintes, Édilivre, Juin 2018

ISBN-10 : 241424125X

ISBN-13 : 2414241255