MAIS OUI, C’EST MASI ! DE GARY VICTOR…

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MAIS OUI, C’EST MASI ! DE GARY VICTOR…

Rien ne va plus dans cette petite république haïtienne depuis qu’un nouveau Président a été fraichement élu sur la promesse de créer un ministère aux Valeurs morales et citoyennes, dont la mission serait de garantir la probité et le caractère règlementaire de l’exécutif nouvellement porté au pouvoir. Sur fond de corruption ambiante, qui ravage le pays et le plonge dans la misère, tout un chacun échafaude des combines tous azimuts et fait preuve d’arrivisme pour se gagner une place au soleil, et se mettre à l’abri des morsures de la faim : « Se prémunir contre la précarité était un exercice national qui ramassait à la pelle tout ce qui restait de bonne conscience pour les enfouir dans les bas-fonds de la désespérance (9). » C’est ainsi que bien malgré lui, grâce au réseau politique et religieux (évangélique) de l’oncle de son épouse Anodine, Dieuseul Lapénurie, un obscur comptable dans un ministère — hétérovolage comme il se doit —, se retrouve propulsé comme par magie sur la liste des ministrables à ce poste ô combien stratégique ! C’était sans compter sans l’affinité profonde qui allait se tisser entre le nouveau Président et le futur ministre…

 

Par la magie de l’écriture baroque qu’on lui connaît, Gary Victor fait passer son lecteur par des scènes et des prises de conscience pour le moins abruptes, mais tout à la fois poétiques. Du spleen de la plateforme en bois pourri du bord de mer, en passant par l’épreuve du saut à la perche, la narration rapporte implacablement ce que le quotidien haïtien a de violent, de révoltant et d’écœurant, tout en apportant au lecteur un point de vue non manichéen, riche culturellement et décentré, des émotions de son héros. Ainsi, dans une jungle où tout semble devoir faire l’éloge de la loi du plus fort, de la corruption et du banditisme, Dieuseul Lapénurie se pose finalement en un être profondément humain, sensible et raisonnable, en soutenant l’organisation de la Gay Pride locale, le Festi Masi, tout en invoquant des raisons personnelles, auxquelles ni le pouvoir corrompu, ni l’opposition réactionnaire ne s’attendaient. Déchu de son mandat et réduit à l’état de fugitif, après avoir été passé à tabac, il regagne la vie simple et solidaire de simple citoyen pour vivre dans la clandestinité : « pour vivre heureux, vivons cachés ».

 

Dans ce roman haut en couleur, Gary Victor brille par l’imagination et la sensibilité qui sont désormais sa marque de fabrique : son récit hallucinant plonge le lecteur dans un récit haletant, à la fois violent, aux couleurs crues, dont l’immoralité et l’humanité sont tout à la fois choquantes et désorientantes. Néanmoins, son personnage parvient à sortir par le haut des multiples chausse-trappes de ce véritable cloaque en prenant appui sur la culture et sur sa sensibilité — on retrouve comme toujours chez Gary Victor cet important travail d’introspection et de réflexion culturelle et sociologique de la voix narrative —, emporté par un style à la fois direct, moderne et pourtant ô combien ciselé ! Un pur bonheur pour un lecteur tenté par une plongée sans concessions et pour tout dire assez décadente dans les tréfonds de l’âme humaine.